Echange avec Andréa Rogg, CEO Saucony originals
Après la morosité imposée par la crise du Covid, Paris a retrouvé son statut de capitale de la mode lors de la dernière Fashion week. Croulant sous les soirées, présentations et autres défilés, nous avons préféré nous retirer dans un cocon d’authenticité que Saucony avait choisi pour célébrer ses 125 printemps. Connue pour sa réserve, la marque de sport américaine a décidé d’afficher son héritage au vu et au su de tout le monde avec la soirée d’un livre rappelant son héritage à ceux qui en doutaient encore, dans un lieu à la croisée du musée et du laboratoire futuriste. Ce moment fut l’occasion de renouer contact avec le CEO de la marque, Andrea Rogg, qui nous a parlé, histoire, positionnement et stratégie.
La marque fête ses 125 ans cette année autour de trois piliers qui sont la santé, la communauté la performance, c’est quelque chose de nouveau ?
Performance toujours ! Pour nous c’est le positionnement clé de la marque. D’ailleurs il faut qu’on le prenne beaucoup plus comme une clé de lecture pour nous, mais surtout pour le consommateur. C’est l’opportunité unique de mélanger en fait cette authenticité de marque américaine dans le running avec l’innovation. Donc tout ce côté sport/innovation/performance qui fait partie du côté life, du lifestyle donc du bien-être fusionne parfaitement avec l’histoire incroyable d’une marque qui a 125 ans. Qui est très authentique, qui a un positionnement légitime très fort dans le running. D’ailleurs le running fait partie d’un des quatre piliers qui font le marché. Tu as le running qui part du technique jusqu’au retro inspire, tu as le court qui part de la performance jusqu’à la mode avec les collections capsule des marques de mode. Après tu as le basket et 2-3 trucs qui se rajoutent et c’est fait.
Donc on est hyper authentique, hyper légitime avec une grande histoire à raconter. Donc les 3 piliers quand on les met ensemble, ils font “authentic american running brand with style”.
C’est bien que l’on évoque ces autres sports, toi tu as un background Ski/football, le retrocourt et basketball sont énormes dans le marché de la sneakers. Pourtant, j’ai l’impression que Saucony se concentre énormément sur le running, un petit peu sur le basket avec la Spotbilt, mais qu’en est-il de l’héritage des autres sports ?
C’est une très bonne question, tu l’as vu on a lancé cet hiver Spotbilt, je t’avoue qu’il y a eu beaucoup de réflexion en interne. Parce qu’aujourd’hui la perception consommateur nous sommes une marque running, mais dans nos 125 années d’histoire après le rachat de la famille du fondateur, il y a eu le rachat d’une marque à l’époque américaine très légitime et très connue qui s’appelle justement Spotbilt qui était spécialisée dans les sports collectifs. Donc , c’est vrai qu’on a ce positionnement, le running est dans notre ADN mais il y a aussi ce côté authentique donc on s’est dit ben pourquoi pas. On peut aussi raconter une histoire, on était en NBA, oui on était proche de signer Michael Jordan. Oui c’est vrai c’est l’histoire, donc du moment où il y a une authenticité dans le storytelling on se dit Ok ça peut donner de l’énergie, ça peut donner une histoire à raconter. Mais je ne sais pas si on peut pousser au-delà de Spotbilt Sonic et piocher dans nos archives de Foot U.S. ou baseball.
Si on revient au début de ce qu’on connaît en Europe. J’avais bossé avec Cédric Thomas, la toute première implantation et il y avait une tendance très italienne sur la Jazz. D’où vient cette histoire d’amour entre l’Italie et le modèle jazz ?
Ça vient comme très souvent d’une idée de segmentation Produit/Consommateurs/Marchés très claire. L’idée était de rentrer dans une distribution de mode donc pas la distribution traditionnelle de sneakers en partant du haut. Donc des boutiques indépendantes comme Antonia, Luisa via Roma qui abondent en Italie. C’est un facteur très important, car l’Italie est un marché avec beaucoup d’indépendants dans la mode et chacun crée une tendance sur l’adoption d’une marque ou d’un modèle dans des communautés locales. Et voilà donc on a ce modèle qui est très simple, très confortable, essayons de faire une explosion de couleurs et de jouer la carte d’une marque américaine de running pas connue du tout dans la mode avec un offre très ciblé sur un modèle et des couleurs. On a joué ce positionnement pendant 2-3 années et après ça a pris. Pourquoi ? Parce que derrière il y a une histoire authentique et après on a utilisé beaucoup une sorte de bouche à oreille de distribution de haute qualité.
Comme je disais en Italie, il y a beaucoup de magasins dans chaque région. La nourriture, la mode, c’est la culture italienne. Il y a plein de petits restos partout en Italie, il y a plein de boutiques de mode, de vêtements et du coup le consommateur a commencé à voir dans les grandes villes, dans de belles vitrines, de belles boutiques cette marque colorée inconnue. Le prix a été clé aussi, parce qu’avoir un produit classique à 115 euros c’est pas un premier prix. On est plus aux alentours de 80-100 dans une boutique de mode où le consommateur ou la consommatrice dépense normalement 700-1000 euros, rajouter 115 euros c’est pas grand chose et donc c’est devenu presque une notion d’accessoire de mode. C’est la distribution qui a positionné la marque très haut.
Mais malgré tout cela la marque reste quand même assez confidentielle. Qu’est-ce qu’il lui manque?
Moi je pense qu’il nous manque une approche du running plus lifestyle et segmenter la distribution et la production pour avoir une voix unique comme marque. Parce qu’aujourd’hui quand tu dis la performance en dehors de l’Italie c’est dans la partie haute de la pyramide et avec 2 consommateurs qui pourraient être le même mais qui achètent le produit comme si c’était 2 marques différentes. Avec ça je vais performer au marathon de Paris et j’adore cette collaboration, j’achète. Sans faire le lien d’une marque cool qui performe.
Pendant longtemps, vous fonctionniez plus par packs que collaborations, un peu comme NB. Maintenant vous commencez à enchaîner les collabs?
Oui les sneakerheads associaient les packs, notamment food, à Saucony donc on l’a fait pendant longtemps. Il y a déjà un programme collab qui se développe et je pense qu’on est en train de trouver un peu la cible. Pour l’instant, nos collaborations ne sont pas forcément des noms de très grandes notoriété mais ils sont très authentiques et implantés dans la communauté et la culture. On essaye aujourd’hui d’avoir toujours un regard américain parce que c’est notre ADN et surtout parce que dans la Street culture c’est encore les États-Unis qui drive, mais on commence à voir des entrées en dehors des États-Unis dans notre programme de collaboration. On lancera au mois de janvier PFW, une collaboration avec Beams autour de la Sonic, au même moment on aura Starcow, End, Asphaltgold.
Du coup qu’en est-il de la distribution italienne et de cet équilibre fashion vs Sneakerheads ?
Avec ce que l’on voit ici (Showroom), je pense qu’il y a vraiment de quoi segmenter. Parce qu’on a toujours nos classiques, Jazz, Shadow…. Donc justement avec ce développement de collection et de segmentation dans les années, on pense pouvoir être légitime sans avoir de cannibalisation. Je crois aussi qu’on a une opportunité de grandir beaucoup dans la partie sneakerheads lifestyle mais aussi d’apprendre du cas italien sans faire de copier-coller car il y a toujours des consommateurs à la recherche d’un produit confortable et simple. Aujourd’hui en Italie on a des consommateurs qui sont matures, 45+, qui ont un pouvoir d’achat. Ils ne sont pas tendances. Ils sont très clean, classiques. Il y en a partout dans le monde. Un marché comme les U.S, on avait retiré les Jazz et Shadow pendant 3 ans et on a recommencé à les réintroduire sur Saucony.com et mine de rien c’est 50% des ventes aujourd’hui.
Pour avoir une grande marque de sport, une grande marque de mode, il faut aussi avoir du textile ?
Nous on voit cette opportunité. On pense que pour l’instant on a beaucoup de travail pour affirmer la marque, notre “core business” c’est la chaussure mais je ne serais pas étonné qu’on puisse commencer dans les prochaines années d’une façon très ciblée avec un point de vue clair et authentique. C’est dans notre plan stratégique mais ce n’est pas pour maintenant.
On rentre dans le Web 3, est-ce que vous y voyez des leviers de croissance?
Je pense que c’est quelque chose qu’il faut regarder qu’il faut connaître. Je crois encore que peut-être comme levier de communication, comme angle pour toucher une cible un peu plus jeune c’est parfait. Moi je crois fortement que la marque a un potentiel énorme si on fait rien ce qu’on sait faire pour l’instant avec la distribution qu’on connaît très bien, avec les consommateurs qu’on connaît. Je pense que si on fait un management des fondamentaux de la marque, on a un potentiel de croissance énorme.
Au regard de ton parcours, est-ce que tu trouves des points communs entre Puma qui était un outsider et Saucony ?
Si tu regardes le podium. C’est des marques multisports et c’est des marques où le football est présent. C’est hyper star-system, c’est hyper populaire et c’est un ascenseur de la marque énorme. Je suis arrivé chez Puma à la fin de la vague de croissance amenée par 2 collaborations. La première avec une running/foot reprise par Jil Sanders. C’était une vision du président de l’époque de faire un merch sport . Après il y a eu Sparco motorsports qui a explosé. C’est clair! La création d’énergie sur le consommateur qui influence est une stratégie qui paye. On le voit chez Adidas avec les succès sur la Samba, la Gazelle et maintenant la Campus. Donc si on a la possibilité de faire le travail en haut, on peut cascader et je pense que ça c’est des points communs. Le sport, l’héritage, le “storytelling” et l’authenticité, c’est un autre point commun. Les volumes après sont générés par le basket qui est le king of streets sport. Il a une énorme influence sur les jeunes générations plus que le running ou le foot.
Donc ces trois grosses marques ont d’autres points de contact avec les générations jeunes par le biais de sports de masse très influents.