Trop beau pour se battre

Paru dans le dernier shoes-up, l’article de notre confrère, moi-même, sur les sapeurs. Je vous laisse découvrir.
Photo : Baudouin Mouanda

« Pourquoi Brazzaville? On ne sait pas… c’est comme ça! A Kinshasa c’est la musique, au Cameroun c’est le foot, ici c’est la sape. » Tels sont les propos du photographe espagnol  Hector Mediavilla, recueillis par Lyse Le Runigo lorsqu’il essaye d’expliquer les origines du phénomène.

S.A.P.E, acronyme de la société des ambianceurs et des personnes élégantes, est un phénomène né au Congo-Brazzaville, puis exportée dans l’autre Congo à Kinshasa, dans les années 1960. lnspiré du dandysme, c’est grâce à ce mouvement que je connais Marcel Lassance, que je surveille d’un oeil les créateurs japonais, que je sais nouer une cravate depuis mon plus jeune âge, que j’ai un penchant pour les chaussettes rouges, que je vénère les kilts, que je respecte Edward Green, adore Weston et place Edouard Balladur sur un piédestal.

Il existe deux formes de Sape.

La Sape de type « Complet » qui déclare son goût pour l’harmonie des coupes et couleurs et correspond à l’habillement de Costume classique. Très conservateurs, il a la connaissance des couleurs, des tissus et des saisons. Il est l’équivalent du Dandy à l’anglaise. Un sapeur complet obéit à la règle des 3, appelée Tricologie.

L’autre forme de S.A.P.E est plus relax. Le Sapeur de Type Play Boy se voit comme un objet d’art mobile, porté sur les vêtements courants comme les jeans, short, chemises mais de grandes maisons, il est dans l‘ostentation non-stop. Il sont souvent originaires de l’autre rive du Congo, l’ex-Zaïre.

Pourquoi Brazzaville comme épicentre? La capitale de la république du Congo, capitale de la France Libre durant la 2nde guerre mondiale, fut le théâtre il y a plus de 80 ans de l’avènement d’André Grenard Matsoua, homme politique congolais qui revint de la métropole à la fin des années 20 avec une éducation supérieure et des revendications syndicalistes. Considéré comme le père de la SAPE, il était le sauveur des opprimés et ses costumes rayures tennis, sa tenue de super héros.

Chaque époque a eu ses grands noms. Le label Sapeur a parfois été décerné à des personnalités qui n’ont jamais revendiqué leur appartenance à ce courant. Dans le Brazzaville des années 1950, les étudiants de retour de France refaisaient le monde lors de soirées tout de noir vêtus. Matsoua Kota Lazard, Boka Babakass, Stephane Bogonouara, Ambroise Noumazalay ou Edmond N’Tary-Calaffard auto-baptisés existentialistes, passaient pour la fine fleur de l’élégance. Libre penseurs,  professionnellement accomplis, ces jeunes hommes élégants s’opposaient au régime communiste d’alors. La tendance se consolida ensuite de l’autre cote de la rive, dans l’ex-Zaïre, ou la dictature de Mobutu Sese Seko interdit le costume-cravate, symbole de l’oppression coloniale. Il est vrai que les
sapeurs étaient véhicules d’idées et d’un mode de vie à l’européenne. Aujourd’hui la réciproque est tout aussi vraie, ainsi Paul Smith s’est inspiré du mouvement dans l’une de ses collections et Solange Knowles, la petite sœur de Beyonce, a fait appel aux sapeurs pour créer le buzz de son single « Losing you », car les femmes ne sont pas en reste. Elles se
prêtent volontiers au jeu, mais dans des complets très masculins ou à l’anglaise.

Galvaudé voire souillé, le mouvement est tombé dans le folklore car ces gentlemen accomplis et contestataires posèrent les jalons du phénomène « parisiens ». Des expatriés en goguette, éblouissant la plèbe le temps des vacances des signes de richesses remplissant leurs malles. Ils se cantonnent désormais à la danse des griffes durant laquelle les participants se pavanent et le « Ntelo », joute verbale en patois. Outre l’habit, ce qui fera la différence, ce sont les mimiques, la démarche, les poses, les pas de danse. Les héros des nouvelles générations aux noms tirés de progammes télévisés ont laissé leurs revendications sociales aux abords des boutiques de l’avenue Francois 1er . Place à l’ « Enfant Mystère », « DJO Ballard », « Archevêque »  et autres «Bachelor »

A Brazzaville, la sape est un art, qui n’a rien à voir avec les moyens bien que les sapeurs aient contribue à l’avènement de marques aujourd’hui établies telles que Marithé et François Girbaud, Yohji Yamamoto et  Roberto Cavalli. Savoir s’habiller n’est pas synonyme de se vêtir cher. Tout est question d’harmonie des couleurs. La crise aidant, les fripes et le sur-mesure local auxquels ont ajoute des étiquettes prestigieuses ont permis au mouvement de perdurer. L’important est de s’approcher autant que faire se peut, des sources d’inspirations que sont les hommes politiques, les journalistes français et les romans photos. Parmi eux, se distingue l’ancien Premier ministre Edouard Balladur, qui remit au goût du jour la veste à trois boutons  avec ses costumes à fentes de 30 cm et fit connaître les chaussettes pourpres Gammarelli.

Plus que le culte de l’habillement, la SAPE est un tenant de la culture Congolaise. L’élégance n’est pas le seul critère, un sapeur est d’abord un gentleman. Non-violent, il est doux, propre, sage et poli. Trop beau pour se battre, la seule joute admise est verbale.

Paradoxal dans un pays enclin aux conflits armes.

Le Mouvement a fait des petits dans le reste de l’Afrique, des ersatz existent en Côte d’Ivoire, au Sénégal, en Guinée, au Gabon et même au Japon. La recherche de l’ensemble vestimentaire idéal est devenu un mouvement global dont la coupe du monde se déroulera cette année au Cameroun.